Plus que jamais d’actualité, l’impératif de transition écologique fait émerger de nombreuses initiatives pour « verdir » le stockage et l’exploitation de données, activités historiquement très énergivores. L’intelligence artificielle (IA) peut être mise à contribution pour soutenir cette transition. Explications avec Sylvain Bouveret, responsable de la filière Ingénierie des systèmes d’information de l’Ensimag.
Numérique : des impacts difficiles à évaluer
Selon les études, 2 % à 4 % des émissions planétaires de gaz à effet de serre sont dues à l’écosystème numérique mondial. C’est deux fois plus que le transport aérien. Mais pour Sylvain Bouveret, la comparaison est limitée : « Contrairement au secteur de l’aviation, dont l’impact provient majoritairement de l’usage des appareils, dans l’informatique, les dispositifs consomment relativement peu, mais c’est un secteur ubiquitaire aux impacts très diffus. Terminaux utilisateurs, data centers, réseaux de télécommunication, objets connectés… La diversité et le nombre de ces matériels rendent l’impact du secteur très complexe à estimer. »
En outre, les calculs sous-estiment encore selon l’expert les effets indirects et rebonds du numérique. « Une partie des outils numériques que nous concevons a pour vocation d’accélérer et d’optimiser les flux ; il ne faut pas négliger le coût environnemental que cela génère. C’est le cas par exemple des flux logistiques, toujours plus optimisés grâce au digital, qui permettent aujourd’hui de connecter producteurs et consommateurs d’un bout à l’autre de la planète et de livrer des biens en moins de deux jours, ce qui a un impact considérable, mais dans lequel la part imputable au numérique est difficilement quantifiable».
Et l’IA dans tout ça ?
La spécificité de l’IA en matière d’impact environnemental réside, comme le souligne Sylvain Bouveret, dans la phase d’entraînement des modèles qui, même si elle s’effectue hors ligne, mobilise beaucoup de ressources énergétiques. L’expert insiste également sur l’importance de prendre en compte la fabrication des machines dans les calculs d’impact : « On se focalise souvent sur la consommation énergétique liée à l’usage des équipements mais l’impact est tout aussi important à d’autres étapes de leur cycle de vie, comme la fabrication ou la fin de vie. » Il cite par exemple l’étude menée par la GRICAD, infrastructure de calcul intensif et de données à Grenoble, pour mesurer de façon multicritères l’empreinte carbone d’une heure de calcul. Le centre a ainsi établi que 40% de l’empreinte du calcul côté serveurs étaient dus uniquement à leur fabrication, d’où la nécessité de se focaliser sur l’ensemble du cycle de vie des équipements.
Mission green AI
Aujourd’hui, de nombreuses initiatives voient le jour au niveau des entreprises et des gouvernements pour mettre au point une IA plus verte. Dans la lignée du Pacte vert européen, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050, de nombreux acteurs du cloud se sont par exemple fixé comme objectif la neutralité carbone des data centers dès 2030. On parle désormais de green data centers pour désigner ces systèmes de stockage de données plus efficaces en termes de PUE (power usage effectiveness) et moins énergivores. Sylvain Bouveret pointe cependant : « Il ne faudra pas oublier que la neutralité carbone se conçoit à l'échelle globale et qu'une vision carbo-centrée ne suffira pas à résoudre la crise environnementale à laquelle nous sommes déjà confrontés. »
« Concernant l’IA plus spécifiquement, ajoute-t-il, de plus en plus de travaux s’intéressent à une approche frugale et recherchent des méthodes d’apprentissage plus économes en ressources, accompagnées d’architectures dédiées ». Ecoinfo, groupement de services du CNRS dont Sylvain Bouveret fait partie, effectue plusieurs recommandations pour l’analyse et la prévention des impacts environnementaux de projets impliquant des méthodes d’IA :
Systématiser l’évaluation a priori des impacts, avec des méthodes éprouvées comme l’analyse du cycle de vie, qui intègre d’autres indicateurs que les émissions de CO2 ;
Essayer d’évaluer le plus précisément possible les effets indirects et rebonds (par exemple, l’augmentation du recours à certains services) ;
Mettre en place des contre-mesures pour éviter ces effets rebonds et indirects.
Bien qu’encore difficiles à mettre en place, ces recommandations pointent la nécessité de passer à une méthode d’analyse plus globale, qui prenne en compte différents critères d’impact, la totalité des étapes du cycle de vie des équipements et la complexité des systèmes constitués par les terminaux, les data centers et les réseaux.
L’IA, alliée des stratégies RSE ?
Mais si l’IA a un coût environnemental non négligeable, elle peut également être mise au service de la transition écologique et s’avérer une excellente alliée des stratégies RSE. Une partie de l’IoT (Internet of Things) s’est d’ailleurs développée autour de cette idée. De nombreux capteurs ont en effet été mis au point pour évaluer et optimiser de façon très efficace la consommation et la gestion de ressources.
Attention toutefois à ne pas occulter les effets rebonds et indirects de projets impliquant des méthodes d’IA, alerte Sylvain Bouveret. « Il demeure indispensable de coupler ces approches avec des analyses coûts-bénéfices poussées pour trouver une IA à la juste mesure, c’est-à-dire qui réponde à un besoin spécifique et ne constitue pas une dépense inutile d’énergie. »
Pour Sylvain Bouveret, l’un des aspects extrêmement vertueux de l’IA reste indéniablement de pouvoir alimenter notre connaissance et notre compréhension du risque climatique. Mais, conclut-il, « dans un contexte de raréfaction généralisée des ressources, il est plus nécessaire que jamais d’aller vers la sobriété, dans le numérique comme ailleurs. »
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